Entretien avec la Maire de Rennes, Mme. Nathalie Appéré
Nous vous présentons la version complète de l'entretien avec le Maire de Rennes, Mme. Nathalie Appéré, publié dans le cadre du Bulletin 22 de l'AIVE.
Rennes est…
…cofondatrice de l’AIVE avec Turin et Barcelone. C’est une réelle fierté pour la ville et les Rennais et cela démontre la volonté continue de Rennes d’inscrire l’éducation au cœur de son projet politique. Ce projet politique a toujours positionné l’ambition éducative comme le fondement de son projet social. L’équipe municipale élue en mars 2014 souhaite poursuivre et conforter cet engagement en accordant notamment une attention particulière aux quartiers prioritaires de la Politique de la ville.
Quels sont les avantages de mettre en place un Projet Éducatif local (PEL) ? Quelles ont été les principales réussites et difficultés de cette concertation avec les différents acteurs locaux ?
La construction et la mise en place de Contrats Éducatifs Locaux puis d’un Projet Éducatif Local (et global) rennais remontent aux années 80. Depuis trente ans, Rennes fait de l’éducation un moteur de son développement, un moyen de répondre aux enjeux de démocratie locale et un levier essentiel de lutte contre les inégalités.
Rennes Ville Éducatrice a donc construit son approche et ses politiques éducatives en étroit partenariat avec l’Éducation Nationale, la Caisse d’Allocations Familiales et le tissu associatif de proximité avec en toile de fond la notion de « territoire apprenant ». Les fédérations d’Éducation Populaire comme la Ligue de l’Enseignement sont ainsi devenues des partenaires historiques et incontournables de la Ville de Rennes autour de thèmes comme l’accompagnement à la scolarité ou la citoyenneté.
La dimension transversale des projets a toujours été privilégiée avec un traitement des problématiques éducatives au-delà des acteurs et des champs traditionnels de l’éducation. L’action culturelle, la politique sportive, la planification urbaine ou encore les enjeux environnementaux, par exemple, sont autant de leviers actionnés dans le cadre du Projet Éducatif Local.
Des instances de suivi et de gouvernance ont été créées, associant les différents interlocuteurs et partenaires, pour permettre le débat et la concertation.Cette logique de co-éducation s’est exprimée dans les instances pour une école ouverte sur son environnement et les équipements et acteurs de proximité.
Élargi aux 0-18 ans, le Projet Éducatif Local rennais, sur la base du diagnostic partagé en termes de besoins et de demande sociale, a été défini pour faire de chaque temps de l’enfant un temps éducatif. Cela suppose de garantir et de favoriser les continuités éducatives, d’articuler les temps « dans » et « hors » l’école. Cette orientation trouve une traduction opérationnelle grâce à la complémentarité et à la cohérence des actions des différents acteurs institutionnels, associatifs ou issus de la société civile, avec des niveaux de collaboration étroits à l’échelle du quartier.
C’est la raison pour laquelle, très tôt, la Ville a fait le choix d’investir les champs péri- et extra-scolaires dans le cadre prédéfini par le PEL. La récente réforme des rythmes scolaires a permis de conforter ces choix (illustrés par un effort financier proche de 2 millions d’euros) : favoriser les apprentissages fondamentaux, inscrire les interventions extérieures à l’école dans un objectif pérenne de continuité éducative et répondre à des enjeux grandissants de parentalité et d’organisation familiale.
Aujourd’hui, la poursuite de cette ambition éducative s’articule autour de six grands objectifs qui structurent le nouveau Projet Éducatif Local rennais :
- Renforcer la continuité éducative et l’articulation des différents temps de l’enfant.
- Lutter contre les inégalités éducatives et le décrochage scolaire.
- Valoriser et soutenir la parentalité.
- Améliorer les usages du numérique à l’école.
- Garantir le vivre ensemble autour des principes de laïcité, de citoyenneté et de lutte contre les discriminations.
- Participer à l’ouverture culturelle et artistique des enfants.
Ces objectifs se déclinent à l’échelle du territoire rennais au travers de Projets éducatifs de Territoire qui se veulent une réponse adaptée aux problématiques territoriales des quartiers.
Rennes a environ 210 000 habitants et plus de 6000 associations de tous les secteurs, d’un énorme dynamisme. Comment expliquez-vous cette densité associative? Quel est le soutien que les associations reçoivent de la Ville ? Quelle est l’empreinte qu’elles laissent sur la Ville ?
Cette richesse et cette diversité associatives participent de l’identité de la Ville et contribuent à un dynamisme qui fait référence au niveau national dans plusieurs domaines. Maintenir une telle dynamique est un défi permanent pour la collectivité. Cela nous oblige à mobiliser différentes formes de soutien. Nous sommes à la veille du renouvellement des conventionnements avec les principaux équipements de quartier au travers desquels nous souhaitons favoriser l’interconnaissance et les projets de territoire. D’autre part, l’évènementiel continue, dans un contexte budgétaire contraint, d’être un moyen d’expression fort du tissu associatif, que nous encourageons. En plus des rendez-vous d’envergure internationale comme Les Rencontres Trans Musicales, notre soutien aux événements, notamment centrés sur les pratiques amateurs, qui animent le territoire est maintenu. C’est ce mélange et cette interactivité entre les pratiques et les initiatives qui font aujourd’hui la marque de fabrique rennaise.
Un Rennais sur quatre a entre 15 et 24 ans et vous avez une population universitaire de plus de 60 000 étudiants. Comment accompagnez-vous les jeunes vers l’autonomie et la citoyenneté?
Cette caractéristique démographique témoigne de l’attractivité de la métropole rennaise. L’accompagnement de cette classe d’âge ne peut être déconnecté de la mutation de la société dans son ensemble, avec des enjeux prédominants en termes de formation et d’emploi. La construction de l’autonomie et de la citoyenneté chez les adolescents et les jeunes adultes exige une approche transversale des problématiques urbaines de notre temps. A titre d’illustration, la Ville de Rennes favorise le vivre ensemble en soutenant des manifestations étudiantes dédiées à ces thématiques et éco-responsables. On peut aussi citer l’action menée par l’Association de la Fondation Etudiante pour la Ville dans le soutien scolaire en milieu défavorisé, particulièrement reconnue.
Les liens tissés avec les universités rennaises sont un autre des atouts de la Ville. Les débouchés offerts sur le bassin d’emploi rennais dans les filières numériques et des technologies de demain sont aussi des moteurs pour ces jeunes, et contribuent à donner une image positive de la Ville.
La Ville de Rennes a dévoué beaucoup d’efforts et de ressources à la requalification des quartiers, à la création de logement public et des équipements, dans quel but ? Quel rôle ont joué les citoyens dans ces transformations ?
La mixité sociale dans l’habitat a toujours conditionné la politique de la ville en la matière. Avec un programme local de l’habitat qui prévoit la production de 1500 logements par an, la collectivité conçoit la ville de demain en prenant en compte des enjeux sociaux et de vivre ensemble. L’engagement de deux projets majeurs de rénovation urbaine dans des quartiers de la Politique de la ville, à Maurepas et au Blosne, symbolisent cette préoccupation. Et dans ce cadre, l’association des citoyens à ces transformations est une des clés – si ce n’est la clé – de la réussite de ces projets. À Rennes, cela prend la forme d’une démarche participative labélisée Fabrique citoyenne et inspirée des préconisations faites dans le cadre du renouvellement des contrats de ville. Les conseils citoyens et d’autres instances participatives, mais aussi un « aller vers » permanent, sont indispensables pour recueillir la parole, les idées et les projets des habitants de ces quartiers. Enfin, les règles d’attribution de logement social existantes à Rennes, et associant les différents bailleurs et institutions compétentes, procèdent d’un souci de transparence et de justice sociale aujourd’hui reconnues au niveau national.
Pouvez-vous nous donner un exemple de comment vous faites à Rennes pour promouvoir des nouveaux comportements par rapport au respect de l’espace public ? Et à la convivialité entre différents générations et cultures ? Comment encouragez-vous le sens d’appartenance à la ville ?
La régulation et le partage de l’espace public dans une ville en pleine mutation comme Rennes sont au carrefour de plusieurs politiques publiques. La ville connaît un métissage grandissant des cultures et des générations. Les nouveaux arrivants, de plus en plus nombreux, contribuent à une ouverture sociale et culturelle de la ville, et nous encouragent à favoriser activement l’interconnaissance et le partage culturel. Les enjeux qui accompagnent ces constats sont notamment ceux d’une citoyenneté et d’une laïcité affirmées et assumées par tous et pour tous. J’ai décidé d’installer un Comité consultatif « Laïcité » pour partager et définir des orientations et des actions fortes répondant à des questionnements concrets posés au quotidien. Ce travail, axe majeur du programme municipal, trouve une déclinaison autour des thèmes de l’école, de l’espace public, de la vie associative et le vivre ensemble dans la diversité.
De manière plus générale, le service public au quotidien passe aussi par une plus grande réactivité et une adaptabilité des acteurs publics. La territorialisation des services et des politiques publiques menée par la Ville sert ce dessein ; à Rennes, la mise en place de budgets participatifs dans les mois qui viennent devrait encore favoriser ce sentiment d’appartenance et de solidarité.
L’innovation, le développement urbain durable, la qualité de ville, le modèle de démocratie locale, et enfin la dynamique culturelle rendent Rennes une ville attractive, environ 60 000 nouveaux habitants sont attendus en dix ans dans la Métropole de Rennes. Comment se prépare la ville pour accueillir ceux qui arriveront?
Comme je le disais tout à l’heure, la dynamique démographique rennaise exige de l’anticipation et de la pertinence, particulièrement en termes de services et d’infrastructures publics. La construction d’une seconde ligne de métro desservant les quartiers de la ville d’est en ouest est l’un des projets structurants de la décennie. Le conseil des mobilités, instance référente dans ce domaine, permet de penser les choses de manière concertée et cohérente. Le Bureau des temps, à l’œuvre depuis plus d’une dizaine d’années, est un autre outil qui nous aide à comprendre les évolutions urbaines et à concevoir des services adaptés.
En matière de services publics, je citerais volontiers les investissements dans le domaine de l’éducation avec la construction de trois nouveaux groupes scolaires, et l’extension de plusieurs écoles sur le mandat, qui sont des réponses attendues pour faire face à une démographie scolaire croissante depuis 8 ans.
La Ville de Rennes a été la première collectivité française à recevoir le label Égalité professionnelle délivré par l’AFNOR en 2008. Quelle est la formule?
Il s’agissait de transposer de manière formelle un volontarisme politique, notamment en repensant les pratiques et règles sociales internes aux services de la ville. Ce label, qui a été reconduit en 2014, a permis de mieux concilier vie professionnelle et vie privée, et de faire de l’égalité femme-homme un outil du dialogue social au sein de l’administration rennaise.
La Ville de Rennes a une superficie de 40 m carrés d’espaces verts par habitant et un fort engagement à la préservation et la qualité de ces espaces. De son côté, les habitants s’engagent à l’entretien de micro parcelles à cultiver. Pouvez-vous nous donner quelques exemples des actions de sensibilisation au développement durable menées à terme par la Ville pour faire changer les modes de vie des habitants?
Depuis de nombreuses années, nous nous sommes engagés dans une démarche « zéro phyto » pour l’entretien des espaces verts. Concrètement, notre Direction des jardins n’utilise plus aucun pesticide pour entretenir les nombreuses surfaces végétales de la ville, et ont recours à des méthodes mécaniques ou thermiques pour entretenir ces espaces. Nous avons aussi lancé le programme « Embellissons nos murs« , qui permet aux habitants de végétaliser les façades de leurs logements à l’aide de plantes grimpantes, dans un souci d’isolation thermique et de développement des plantes en ville. Nous avons aussi réintroduit des ruches en plein cœur de la ville, et confié la récolte du miel à des apiculteurs des environs de Rennes. Avec Rennes Métropole, nous avons aussi développé un ambitieux programme de déploiement de composteurs collectifs, au pied des immeubles, afin que les habitants réduisent leur « production » de déchets. Plus récemment, nous avons obtenu de faire baisser de 20 km/h la vitesse automobile sur la rocade rennaise, afin d’améliorer la qualité de l’air et la sécurité routière. Mais on pourrait multiplier les exemples !
La ville Rennes a beaucoup d’équipements culturels et une offre culturelle très large et pour tout public. Comment contribue la culture à renforcer l’identité de la ville et, en même temps, la cohésion sociale ?
L’ouverture culturelle et artistique est un levier favorisant l’inclusion tant dans le champ éducatif qu’au titre de la cohésion sociale.
La mise en place de la carte « Sortir! », délivrée sous conditions de ressources, et donc accessible aux habitants aux plus faibles revenus, est probablement le dispositif le plus marquant de cette volonté de faire de la culture un patrimoine partagé par tous. Dans le domaine de l’éducation, les dispositifs permettant aux enfants de tous horizons d’accéder à des activités et des découvertes culturelles existent aussi bien sur le temps scolaire que péri et extrascolaire. Les interventions des professionnels des équipements culturels de la Ville et la présence d’artistes dans le cadre de la forme de résidences ou d’ateliers, notamment dans les écoles situées en réseau d’éducation prioritaire, sont des vecteurs de cette politique d’émancipation. La signature prochaine du Plan Local Artistique et Culturel va conforter cette singularité rennaise. Enfin, la délocalisation future du Conservatoire à Rayonnement Régional dans le quartier prioritaire du Blosne est une autre expression de ce volontarisme culturel.
La Ville de Rennes est une ville à une forte vocation internationale. Rennes est l’une des villes fondatrices de l’AIVE, et actuellement votre ville à la vice-présidence du Réseau Français des Villes Éducatrices. Quel serait votre message pour les villes qui ne connaissant pas encore ce mouvement mondial pour les encourager à adhérer ?
Cet engagement dans la durée dans le réseau international est plus que symbolique. Il a permis à la ville d’inscrire et de partager ses réflexions et son action en faveur de l’Éducation. Une Éducation qui prend dans ce cadre une dimension non pas sectorielle mais globale et transversale. Cette ouverture internationale est profitable à plusieurs titres ; elle offre bien entendu une grande visibilité à nos actions, mais surtout elle est l’occasion de faire avancer les modes de faire et de penser, tout en étant en phase avec des logiques et des préoccupations quotidiennes auxquelles chaque collectivité est confrontée.
Photos:
Mairie de Rennes
Sokoljan (Wikimedia Commons).
H. Helmlechner (Wikimedia Commons)
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