Entretien avec M. Gorka Urtaran, Maire de Vitoria-Gasteiz
Nous vous présentons la version complète de l'entretien avec le Maire de Vitoria-Gasteiz publié dans le cadre du Bulletin 33 de l'AIVE.
Vous dites fièrement que vous êtes né et que vous avez grandi à Vitoria. Quels sont les traits caractéristiques de cette ville ?
C’est une ville très spéciale. Une ville qui, par sa taille, est aussi une grande communauté, qui vous permet de vous sentir membre de celle-ci, non pas que nous nous connaissions tous/toutes, mais il est vrai qu’elle a un très fort sentiment d’identité et d’appartenance. J’ai grandi ici, j’ai fait ma vie ici et maintenant je suis fier d’en être le maire.
C’est une ville avec d’innombrables possibilités de profiter de la nature à l’intérieur et à l’extérieur de la zone urbaine.
Une ville confortable, accessible, de taille moyenne, dans laquelle il est facile de se déplacer à pied, à vélo ou en transports en commun. C’est une ville de référence en matière environnementale, nous avons été désignés European Green Capital 2012 et Ville Verte Mondiale 2019.
Une ville de services, c’est aussi quelque chose de très apprécié, des services de qualité, avec une offre de services publics large et abordable, et dont les centres civiques sont le fleuron.
C’est également une ville dotée d’un grand patrimoine historique, dont le meilleur exemple est le quartier médiéval et le grand nombre de palais et de bâtiments historiques que nous possédons.
Et je ne peux oublier notre industrie, qui non seulement soutient l’économie de la ville, mais lui donne aussi du caractère, laissant une empreinte importante sur notre identité et sur l’histoire de nombre de nos quartiers, qui ont émergé et grandi avec elle.
De votre double point de vue de Maire et de sociologue, quels sont les principaux défis auxquels votre ville est confrontée ? Quelles sont les lignes d’action face à ces derniers ?
Dans une large mesure, ce sont des défis communs à l’ensemble de la planète, mais toujours avec des caractéristiques propres, car notre ville possède certaines particularités qui la rendent spéciale. Le principal défi auquel nous sommes confrontés en tant que ville et en tant que planète est probablement celui de la crise climatique et tout ce que cela implique en termes de changements dans notre mode de vie, mais la cohésion sociale et le vieillissement, entre autres, le sont tout autant.
Nous vivons des changements dans le modèle de production et des adaptations importantes dans l’industrie, notamment celle de l’automobile, pilier de notre industrie. À cette fin, la Ville travaille en étroite collaboration avec nos entreprises, en facilitant leurs stratégies d’adaptation avec les outils dont nous disposons, tels que l’urbanisme ou l’amélioration des zones industrielles, mais également en misant sur la création d’un écosystème pour l’innovation avec un projet comme le Mobility Lab. En définitive, en étant les alliés de nos entreprises pour que celles-ci continuent à fournir des emplois de qualité dans notre ville.
Un autre défi est celui du modèle énergétique, l’énergie que nous utilisons pour nous déplacer, dans nos logements et dans notre secteur économique et productif. En ce sens, nous devons opérer un changement très important dans l’amélioration de l’efficacité énergétique, dans l’utilisation de sources renouvelables et dans la création de puits de CO2 qui nous permettront d’atteindre la neutralité carbone, ce qui est essentiel pour atténuer les effets du changement climatique. En tant que Ville, nous mettons en œuvre des projets importants, comme le SmartEnCity de Coronación, qui améliore l’efficacité énergétique des logements de ce quartier historique de la ville, mais aussi avec la promotion des communautés énergétiques ou le remplacement de l’éclairage public par des LED. Mais le projet phare est certainement de pouvoir participer à la mission européenne des 100 villes neutres en carbone d’ici 2030, un projet ambitieux et passionnant qui peut nous aider à accélérer tous ces changements.
La transformation de la mobilité urbaine, la nôtre, comme celle de toutes les autres villes, connaît d’importants changements, des changements qui vont dans le sens de la réduction des émissions de CO2, de l’électrification, de la stimulation de la mobilité active, ou de la promotion de transports publics décarbonés et à haute capacité. À cette fin, à Vitoria-Gasteiz, nous améliorons notre infrastructure cyclable déjà étendue, qui compte désormais plus de 170 kilomètres. En outre, nous continuons à améliorer et à étendre les zones piétonnes et à miser sur les transports en commun électriques et à grande capacité, comme le tramway, avec la branche vers l’université, inaugurée en 2020, ou la branche de Salburua, actuellement en chantier et qui sera opérationnelle au printemps 202, ou encore la mise en œuvre du BEI, le bus électrique intelligent qui couvre la ligne périphérique avec un système plus rapide, plus sûr et plus durable.
Un autre défi majeur auquel nous sommes confrontés est celui de la cohésion sociale. Notre ville est cohésive, mais nous devons poursuivre nos efforts pour la maintenir et l’améliorer. Nous travaillons sur des valeurs telles que la coexistence, l’égalité, la diversité ou les droits humains. Nous avons une qualité de vie élevée, de bons services publics ainsi qu’un modèle économique solide. Cela permet à la ville d’aller de l’avant de manière régulière, sans laisser personne de côté. S’il y a une chose qui définit la société de Vitoria et basque, c’est précisément sa cohésion, qui, malgré ses carences, est l’une des sociétés les plus égalitaires et cohésives de notre environnement. C’est l’un de nos principaux atouts. Si nous laissons une partie de la société à l’écart, il sera difficile d’aller de l’avant.
Troisièmement, et non des moindres, celui du vieillissement. Notre société, à Vitoria et dans une grande partie de l’Europe, vit un processus de vieillissement, une baisse de la natalité et une plus grande longévité. Cela a des implications importantes pour notre système de santé, mais aussi pour les autres services publics que nous fournissons ou même pour la configuration de l’espace public. Je suis persuadé que nous ne sommes pas encore en mesure d’entrevoir les effets de ce processus de vieillissement à moyen terme. Nous devons engager une réflexion sérieuse à ce sujet, car il s’agit d’un phénomène de grande ampleur.
En 2012, Vitoria-Gasteiz a été nommée Capitale Verte de l’Europe et en 2019 Ville Verte Mondiale. Quels sont les aspects et les initiatives qui ont permis à la ville de remporter ces prix ?
Dans les deux cas, nous devons parler de travail partagé. Les institutions et les citoyens sont la clé pour obtenir une ville comme celle que nous avons. En outre, ce n’est pas le travail d’un seul maire ou d’une seule équipe gouvernementale. La grande vertu de ces réalisations réside dans l’engagement continu de tous les maires de la ville en faveur de la durabilité depuis l’époque de Jose Angel Cuerda, le premier à avoir commencé à accorder de l’importance à la durabilité. Par la suite, d’autres sont venus et chacun a apporté des améliorations et des projets qui ont créé et consolidé cette identité durable de la ville. De plus, une autre question clé est que la ville elle-même a intériorisé cette identité et l’a fait sienne, ce qui facilite les progrès dans cette direction.
Il est difficile d’identifier un projet comme étant essentiel à ces réalisations, l’anneau vert est peut-être le projet le plus significatif, mais je pense qu’il s’agit de l’ensemble des initiatives qui nous caractérisent, les infrastructures vertes urbaines, notre gestion de l’eau, notre vaste réseau de pistes cyclables, nos politiques de mobilité urbaine, les projets d’amélioration de l’espace public… il y a beaucoup de projets dans chacune de ces lignes de travail et c’est l’ensemble d’entre elles qui nous rend spéciaux.
Vitoria-Gasteiz a connu d’importants changements dans la mobilité urbaine ces dernières années. Suite au Pacte Citoyen pour la Mobilité Durable, la voiture a perdu son hégémonie au profit du piéton et du vélo. Comment ce changement de comportement a-t-il été réalisé ? De votre point de vue, dans quelle mesure la durabilité et l’éducation vont-elles de pair ?
Il s’agit de changements progressifs. Depuis plus d’une décennie, nous mesurons tous les quatre ans, par le biais d’une enquête sur la mobilité, le comportement de la mobilité dans la ville et, à chaque nouvelle étude, nous avons pu observer comment ce changement se produisait. Comme je l’ai dit, l’engagement des citoyens contribue à ce résultat, car ce sont eux qui décident en fin de compte d’utiliser le bus, la piste cyclable ou les trottoirs pour se déplacer en transports publics, à pied ou à vélo et de laisser la voiture à la maison.
Pour notre part, la Ville doit se donner les moyens et, parfois, faire preuve d’audace dans ses décisions, en pariant sur des changements en profondeur. Nous devons également faciliter tout cela en étendant et en améliorant les pistes cyclables, avec plus de 170 kilomètres dans la ville, en augmentant les zones piétonnes grâce à des projets d’amélioration tels que celui autour du mémorial, les superblocs, ou en améliorant les transports en commun, en élargissant le réseau de tramways ou en mettant en place un nouveau système tel que le BEI.
En définitive, il s’agit de changements qui doivent aller de pair et, heureusement, notre ville a su historiquement aborder ces changements à partir d’un consensus social. Grâce à des citoyens capables d’apprécier ces décisions, car ils connaissent les aspects positifs d’une ville à l’échelle humaine.
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le Vitoria-Gasteiz Green Deal et comment il entend influencer l’avenir de la ville ?
Il s’agit de favoriser l’entente entre les différents acteurs sociaux, économiques et environnementaux afin de pouvoir développer des initiatives innovantes en phase avec les changements auxquels nous sommes confrontés face à la crise climatique. Il s’agit donc d’une pièce de plus dans cette vision de ville, de Superville Européenne, dans laquelle l’innovation, la recherche et l’esprit d’entreprise ont leur place au service de l’amélioration de la ville elle-même.
En ce sens, nous avons déjà mentionné certains projets allant dans cette direction, le mobility Lab, en tant que laboratoire pour l’expérimentation et le développement de nouvelles solutions de mobilité, les accords avec l’université pour le développement d’initiatives de recherche innovantes en matière de polluants émergents, en matière de santé liée au sommeil, en matière d’impulsion, à travers un accélérateur de startups pour créer un nouvel écosystème d’entrepreneuriat lié à la durabilité….
D’autre part, l’initiative « École Ouverte de la Citoyenneté » a été une expérience finaliste du Prix des Villes Éducatrices 2018. Pourquoi la formation d’une citoyenneté active est-elle importante pour la ville ? Quels autres mécanismes/initiatives existent pour encourager la participation citoyenne ? Pouvez-vous nous donner un exemple de co-gouvernance ?
Nous avons souligné la grande importance de l’engagement des citoyens dans le projet de ville. Notre identité en tant que ville est précisément la conjonction entre l’engagement social, les valeurs de la citoyenneté et les projets que les administrations mettent en œuvre. Tout cela doit être cohérent et aller de pair.
Le modèle de participation citoyenne de Vitoria-Gasteiz est un modèle consolidé. Nous avons de nombreuses années d’expérience dans le développement de mécanismes de participation citoyenne, avec une structure participative basée sur Auzogunes et Elkargunes, ou le Conseil Social lui-même, mais aussi avec des processus participatifs, tels que les débats sur l’urbanisme dans la révision du PLU, le budget, la mobilité… et bien sûr, en donnant à ces organes une autonomie organisationnelle pour se réunir, soulever des débats, demander des informations et des explications au gouvernement municipal…
En outre, je voudrais mettre en lumière un projet de participation qui est peut-être le plus réussi de ces dernières années. Le programme « Vitoria-Gasteiz Hobetuz- Mejorando Vitoria-Gasteiz » (Vitoria-Gasteiz Hobetuz- Améliorer Vitoria-Gasteiz), un processus dans lequel des milliers de personnes dans la ville proposent des projets et des initiatives. Ces projets sont soumis à un processus de vote public et ceux sélectionnés par les citoyens eux-mêmes sont exécutés par la Ville. Ceci, au-delà des investissements ou des actions ici ou là, constitue également un exercice de co-gouvernance, en faisant participer les citoyens à la conception de l’espace public qu’ils utiliseront par la suite, de la ville dans laquelle ils vivent.
Nous vivons dans des villes multiculturelles, que peuvent faire les gouvernements locaux pour construire des villes plus accueillantes et inclusives, où le dialogue interculturel et l’égalité des chances sont encouragés ?
Nous avons un rôle fondamental à jouer. Je crois sincèrement que le multiculturalisme est un immense enrichissement pour les villes. Pour leur culture, pour leur économie, pour enrichir le capital social de la ville, qui est en fin de compte la principale valeur pour la construction de notre identité et de notre avenir.
Les institutions ont au moins deux responsabilités distinctes mais complémentaires et qui sont nécessairement liées. D’une part, la politique, dont se nourrissent les discours en faveur ou contre le multiculturalisme. Nos discours ont un grand impact politique, puisqu’ils fixent souvent le cadre des débats publics. Par conséquent, nous avons la responsabilité de faire de la pédagogie et de défendre, sur le plan politique, tous les aspects positifs du multiculturalisme.
En outre, ce discours doit aller de pair avec l’agenda politique, l’autre domaine dans lequel nous, les politiciens, avons une responsabilité directe. Ce qui relève ou non de cet ordre du jour, et son degré de priorité, dépend de nous. Dans notre cas, nous l’avons incorporé dans l’Agenda de Vitoria, notre plan de mandat, dans lequel nous avons intégré les politiques de coexistence comme un axe fondamental. Par ailleurs, nous avons intégré plusieurs actions stratégiques en matière de coexistence, d’égalité et d’éducation liées au multiculturalisme, qui font partie des principaux engagements que nous avons pris au cours de ce mandat.
D’autre part, en accompagnant ce discours et ces priorités politiques par la gestion. Il en existe de nombreux exemples dans notre ville, qu’il s’agisse du travail de planification stratégique, avec le nouveau plan d’Éducation, celui de Coexistence et de Diversité ou celui d’Égalité de genre, ou de la création de structures pour la connaissance de la réalité de notre ville, comme l’observatoire pour la coexistence et la coordination des différents services municipaux dans ces politiques afin de les doter de la transversalité nécessaire.
Dans cette optique, Vitoria-Gasteiz a dirigé un groupe thématique sur la Ville inclusive au sein du Réseau Espagnol des Villes Éducatrices (REVE). Quels éléments devons-nous prendre en compte pour lutter contre les inégalités socio-éducatives présentes dans nos villes? Pouvez-vous nous faire part de bonnes pratiques en la matière?
Il faut créer des cultures inclusives qui permettent d’élaborer des politiques inclusives qui, à leur tour, favorisent le développement de pratiques inclusives. À cette fin, nous considérons qu’il existe une série de clés dont nous devons tenir compte au préalable et qui peuvent également nous être utiles pour tout autre type d’intervention :
Tout d’abord, nous devons croire fermement que l’éducation est un outil de transformation sociale et un axe fondamental de notre projet de ville.
Deuxièmement, le leadership et l’engagement politique qui permettront d’intégrer ce domaine d’action dans le Plan stratégique de la ville et dans les projets sur lesquels il repose.
Troisièmement, il est essentiel d’avoir la capacité d’avancer dans l’exercice de la transversalité, c’est-à-dire dans la coordination et la collaboration entre les différentes institutions qui agissent dans la ville.
Quatrièmement, nous devons compter sur la communauté. Il convient d’encourager le travail en réseau avec la société civile afin de partager l’analyse de la situation et d’élaborer les actions qu’il est nécessaire de mettre en œuvre.
Enfin, nous devons renforcer les processus qui permettent de connaître la réalité qui nous entoure et analyser les interventions réalisées.
En ce qui concerne les bonnes pratiques en la matière, citons le « Projet Vitoria-Gasteiz Ville Éducatrice ». Un projet qui incarne l’engagement de la Ville de Vitoria-Gasteiz à construire un environnement capable de relever collectivement les grands défis de l’éducation dans notre ville et d’agir intentionnellement pour accroître la cohésion sociale en agissant sur les inégalités et en favorisant l’égalité entre les personnes et entre les différents quartiers de la ville.
En outre, la ville est actuellement à la tête du REVE et accueillera bientôt la XVe Rencontre du Réseau, qui met l’accent sur la consolidation d’une ville éducatrice. Que représentent pour la ville l’organisation et l’accueil de cet événement ? Qu’espérez-vous que les déléguées participantes et les délégués participants rapportent à leurs municipalités respectives ?
Nous avons assumé la coordination du REVE, au cours de cette période 2020-2022, avec l’engagement et la certitude qu’il n’est possible de construire la Ville Éducatrice qu’à partir de la coopération entre les différents agents impliqués, et avec une attitude d’apprentissage et de collaboration avec d’autres villes qui partagent les mêmes objectifs.
Pour cette raison, la XVe Rencontre représente, d’une part, un espace de rencontre entre les différents agents socio-éducatifs de la ville et d’autres provenant des villes adhérentes au REVE. Et, d’autre part, l’occasion pour la Ville de Vitoria-Gasteiz de pouvoir montrer aux citoyens son engagement envers les politiques éducatives municipales et la consolidation de notre municipalité en tant que Ville Éducatrice. Pour toutes ces raisons, c’est un grand honneur pour Vitoria-Gasteiz de pouvoir accueillir les villes membres du REVE.
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